Mise en berne des drapeaux – Que dit ou non le droit ?
L’essentiel à retenir :
- Un seul texte de portée générale prévoit la mise en berne des seuls drapeaux, étendards et pavillons des armées lors du décès d’un Président de la République en exercice.
- La mise en berne des drapeaux est autrement réglée par des décisions ad hoc.
- L’usage en est désormais bien établi, en particulier pour les anciens Présidents de la République et dirigeants étrangers.
- Sauf dans le cadre de la théorie des actes de gouvernement, la jurisprudence peine à rattacher ces décisions à des concepts et principes établis qui les légitimeraient.
L’hommage national décrété par le Président de la République au lendemain du décès du pape François a donné lieu à une polémique quant à l’opportunité d’une telle décision à l’endroit d’un chef d’État également, et spécifiquement, leader religieux de premier plan. La mise en berne des drapeaux sur les bâtiments et édifices publics suscite en particulier les critiques les plus vives.
Le ministère de l’Intérieur définit la mise en berne comme le fait de « baisser le drapeau à mi-hauteur de son mât » ou, « en cas d’impossibilité technique, (…) de nouer un ruban de couleur noire au sommet du mât1 ». Il précise que, dans cette hypothèse, « le drapeau tricolore français est le seul emblème obligatoire qu’il convient d’arborer sur les bâtiments et édifices publics2 » et qu’il « devra toujours être dans un état conforme au respect qui lui est dû3 ». Il envisage toutefois le pavoisement, donc la mise en berne, d’autres drapeaux : Union européenne (libre, sauf pour les établissements scolaires4), étrangers, insignes et emblèmes régionaux ou départementaux5.
Or, « le décès du Président de la République est (…) le seul [évènement] pour lequel la mise en berne des drapeaux est prévue par un texte de portée générale6», en l’occurrence le décret n° 89-655 du 13 septembre 1989 relatif aux cérémonies publiques, préséances, honneurs civils et militaires. Pour les autres deuils et hommages envisagés, envisageables, observables et observés, point de norme écrite sur laquelle les pouvoirs publics peuvent fonder leur action en cette matière.
Partant, quelle est la réalité de la légalité d’actes prescrivant la mise en berne des drapeaux, qu’ils procèdent de l’État et visent toutes autorités déconcentrées comme décentralisées, ou qu’ils émanent de collectivités territoriales et aient vocation à s’appliquer à leurs seuls bâtiments et édifices ?
S’il est ainsi clair que la décision de mettre en berne des drapeaux, en particulier au niveau national, souffre d’une large absence de base légale (I), il n’en reste pas moins qu’elle trouve sa légitimité dans l’usage qui s’est imposé et l’interprétation jurisprudentielle limitée qu’on peut en faire (II).
I. Une décision largement privée de base légale
En une seule hypothèse la mise en berne des drapeaux est prévue par un texte de portée générale (A). Elle est autrement organisée par des décisions ad hoc (B).
A. La mise en berne des drapeaux prévue par un texte de portée générale : l’exception
Aux termes du premier alinéa de l’article 47 du décret du 13 septembre 1989 mentionné supra : « Lors du décès du Président de la République, les drapeaux et étendards des armées prennent le deuil ; les bâtiments de la flotte mettent leurs pavillons en berne ». C’est le seul texte de portée générale qui prévoit expressément la mise en berne de drapeaux dans une hypothèse déterminée. Sans s’appesantir sur cette disposition isolée, elle appelle toutefois plusieurs remarques.
D’abord, les substantifs « drapeaux », « étendards » et « pavillons » doivent être compris comme synonymes. Il en est de même des locutions verbales « prendre le deuil » et « mettre en berne ». Toutes les armées sont donc concernées, non la seule Marine nationale.
Ensuite, corollaire du point précédent, le décret « ne semble, par conséquent, pas fonder la mise en berne des drapeaux sur les frontons des édifices et bâtiments publics non militaires ». En creux, le Protocole à l’usage des maires le confirme puisque, s’il renvoie à plusieurs dispositions du décret du 13 septembre 19897, l’article 47 n’en est pas.
Enfin, il paraît clair que les seuls Présidents de la République décédant dans l’exercice de leurs fonctions sont visés par ce texte. Le plus récent et seul chef d’État de la Cinquième République disparu durant son mandat présidentiel est, on le sait, le président Georges Pompidou, mort le 2 avril 1974, un peu moins de cinq ans après son entrée à l’Elysée.
Ainsi l’article 48 du décret du 13 septembre 1989 envisage-t-il différemment le cas des anciens Présidents de la République : « Les conditions dans lesquelles les honneurs funèbres sont rendus aux anciens Présidents de la République (…) sont fixées par instruction ministérielle ».
La voie semble donc ouverte à une forme d’individualisation des conditions dans lesquelles hommages et honneurs peuvent être rendus à d’autres personnalités décédées.
B. La mise en berne des drapeaux organisée par des décisions ad hoc : la règle
En matière de mise en berne des drapeaux, la règle, si l’on puit dire, est qu’il n’y en a pas. En effet, ce sont des décisions ad hoc, prises pour chaque deuil ou hommage particulier, qui organisent le sujet. Elles sont prises non seulement par le Président de la République et le Premier ministre, mais aussi par les exécutifs des collectivités territoriales.
Pour tout deuil national et sauf s’il décède dans l’exercice de ses fonctions8, le président de la République décrète le deuil pour un ou plusieurs jours en l’honneur de personnes décédées. Par exemple, à l’occasion de la mort du Président Mitterrand, l’article premier du décret du 8 janvier 1996 portant déclaration de deuil national dispose que « le jeudi 11 janvier 1996 est déclaré jour de deuil national en raison du décès de M. François Mitterrand, ancien Président de la République ».
Du deuil national paraît devoir être distingué l’hommage national « en raison de l’absence, dans ce dernier cas, de décret du Président de la République9 » qui demeure toutefois l’autorité de décision. L’on pourrait y voir « la cohérence des hypothèses couvertes par l’hommage décidé par décret et celui rendu sans celui-ci(…) toutes les hypothèses de deuil national concernent une personnalité française ou un événement mortifère majeur français. L’hommage national, avec drapeau en berne mais sans décret, concerne quant à lui le décès de personnalités étrangères ou un événement meurtrier à l’étranger, pouvant le cas échéant faire des victimes françaises10 ».
C’est « le Premier ministre [qui] est chargé de l’exécution du (…) décret11 » du Président de la République portant deuil national. Il y procède par voie de circulaire adressé aux membres du Gouvernement leur demandant que « les drapeaux soient mis en berne (…) sur tous les bâtiments et édifices publics12 ». En cas d’hommage national, la « décision du Président de la République fait (…) l’objet soit d’une circulaire du ministère de l’Intérieur à destination des préfets (…), soit d’une instruction du secrétariat général du gouvernement au nom du premier ministre13 ».
En ce qui concerne les collectivités territoriales, enfin, le droit est globalement muet sur ce que les exécutifs ou les assemblées délibérantes auraient, ou pas, la faculté de décider en matière de mise en berne des drapeaux. Le Protocole à l’usage des maires se limite à indiquer qu’ « un maire peut également prendre l’initiative (…) de la mise en berne pour les bâtiments communaux14 ». Il n’est pas douteux que les présidents de régions et de départements disposent d’une faculté analogue en ce qui concerne les bâtiments et édifices régionaux et départementaux.
Sans réelle base légale, sauf exception, la mise en berne des drapeaux est-elle pour autant légitime. L’usage tendrait à le prouver.
II. Une décision légitimée par l’usage
Bien établi même si contesté (A), l’usage de la mise en berne des drapeaux peut-il s’appuyer sur le juge ? (B)
A. L’usage désormais fermement établi
« Seul l’usage et la tradition républicaine sont pris en considération15 ». C’est ce qui ressort effectivement d’au moins sept décennies même si, hors deuils nationaux, « on constate que [la mise en berne des drapeaux] est utilisée essentiellement pour honorer la mémoire d’un chef d’État (…), « les usages républicains » [impliquant] « la mise en berne de l’emblème national afin d’honorer la personne d’un chef d’État décédé dans l’exercice de ses fonctions s’agissant d’un pays proche de la France » ainsi que « l’autorisation pour les préfets d’effectuer une visite de condoléances16 (…) ».
D’où une liste fournie et potentiellement controversée d’occurrences de mises en berne pour honorer les disparus : deuil national pour le décès des Président ou anciens Présidents de la République De Gaulle (1970), Pompidou (1974), Mitterrand (1996), Chirac (2019), Giscard d’Estaing (2020) ; hommage pour les chefs d’État en exercice, anciens ou assimilés Staline (1953), Franco (1975), Reagan (2004), Mandela (2013), Elisabeth II (2022), cinq papes17 ; deuil national consécutif aux attentats du 11 septembre 2001, contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher (2015), du 13 novembre 2015, de Nice (2016) ; deuil national en hommage aux victimes du cyclone Chido à Mayotte (2024) ; hommage national consécutif aux attentats de Madrid (2004), de Bruxelles (2016), contre Hervé Gourdel (2014) et Samuel Paty (2020) ; hommage national pour le dixième anniversaire du génocide rwandais (2004) ; hommage national aux victimes des catastrophes aériennes des vols Rio – Paris (2009) et Air Algérie 5017 au Mali (2014).
Dans la principale hypothèse du décès d’un chef d’État « – que le chef d’État soit encore en fonction ou pas, comme le démontre l’hommage rendu à Ronald Reagan -, un choix politique est effectué puisque tous les chefs d’État de pays amis avec la France ne bénéficient pas de cet heureux traitement (le roi du Maroc, Hassan II, n’en avait pas bénéficié)18 ». Le même choix politique est bien entendu à la base des autres deuils et hommages nationaux, voire locaux, comme l’illustre la décision polémique du conseil exécutif de Corse d’abaisser les drapeaux pour la mort d’Yvan Colonna (2022).
Si, à défaut de textes de portée générale, l’usage souvent politique de la mise en berne des drapeaux est désormais indéniable, le juge est-il susceptible de venir à son appui ?
B. La jurisprudence incomplètement à l’appui de l’usage
Selon les mots du commissaire du gouvernement Donnat, la « jurisprudence [du Conseil d’État] n’a pas eu non plus, à notre connaissance, à se pencher sur [la] question » de la compatibilité entre « le principe de la neutralité du service public » et l’apposition « sur des édifices publics [de] signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses et politiques19 » dont relèverait la mise en berne de drapeaux.
En effet, semblent de peu d’aide dans cette réflexion quelques arrêts topiques mais non d’espèce. Et Francis Donnat de poursuivre : les « fameuses décisions Baldy20 (…) et Mlle Le Tourneur21 (…), toutes deux rendues aux conclusions du président Corneille, annulent, en raison de sa généralité, l’interdiction prononcée par le préfet d’exhiber des drapeaux nationaux ornés d’emblèmes (…) Mais si nous relevons dans les conclusions du commissaire du gouvernement son sentiment selon lequel l’exhibition sur la voie publique d’un drapeau est, en soi, un appel à une manifestation extérieure et collective, ces deux décisions ne sauraient bien évidemment constituer des précédents utiles en l’espèce.
N’en constituent pas plus, même si nous reconnaissons qu’avec moins d’évidence, les décisions par lesquelles [le Conseil d’État a] jugé légales les décisions suspendant de leurs fonctions des maires ayant refusé, dans un cas, de mettre le drapeau de la mairie en berne à l’occasion du décès du maréchal de Lattre de Tassigny22 (…) et, dans l’autre, de pavoiser les édifices publics à l’occasion de la commémoration de l’appel du 18 juin 194023 (…) ».
Avec le professeur Chavrier, il paraît donc pertinent de raccrocher l’hommage aux chefs d’État étrangers à la théorie de l’acte de gouvernement : « cette dimension politique, dans un domaine mettant en cause les relations diplomatiques, conduit à considérer que le choix de l’exécutif de mettre en berne le drapeau français, dans ces circonstances, relève de ce qu’on appelle les actes de gouvernement (…). Cela explique l’absence de formalisme juridique ; c’est une décision, un ordre donné qui échappe au droit. Comment imaginer que le juge administratif tranche sur la question de savoir s’il faut honorer la mémoire d’un monarque d’un pays ami, s’il est juste qu’on rende hommage au président d’Afrique du Sud mais pas au roi Hassan II du Maroc ? Si le mobile politique n’est plus un critère de l’acte de gouvernement, on peut néanmoins reprendre l’expression de Sophie Roussel et de Charline Nicolas selon qui « le contrôle juridictionnel ne pourrait qu’épouser entièrement les contours du contrôle politique, sans avoir d’objet propre24 » (…). Cette décision du Président de la République intervient clairement dans le domaine des relations diplomatiques (…) : la France honore ou pas « un pays proche de la France » par un choix exclusivement politique à défaut d’être encadré par le droit25 ».
Ainsi les décisions de rendre un hommage national aux victimes du génocide rwandais et des attentats terroristes de Madrid et de Bruxelles paraissent-elles être également rattachables à la catégorie des actes de gouvernement. Elles s’inscrivent certainement dans la conduite des relations extérieures de la France. Il n’en est toutefois pas de même de l’hommage rendu à des Français victimes de terrorisme ou de catastrophes aériennes, à vocation interne, voire locale (cf. le cas d’Yvan Colonna), qui bute de nouveau sur l’incomplétude d’un soutien jurisprudentiel qui pallierait une absence de base légale.
1Ministère de l’Intérieur, Protocole à l’usage des maires, MI-SG/DICOM/2020, https://www.interieur.gouv.fr/content/download/122404/982243/file/2020-06-protocole-a-l-ugage-des-maires.pdf, page 6.
2Idem. Les deux autres hypothèses envisagées expressément par le Protocole sont les « cérémonies nationales », au nombre de 18 par an (page 3 du Protocole), et la réception de chefs d’État étrangers.
3Idem.
4Article L. 111-1-1 du code de l’éducation : « La devise de la République, le drapeau tricolore et le drapeau européen sont apposés sur la façade des écoles et des établissements du second degré publics et privés sous contrat (…) ».
5Ministère de l’Intérieur, op. cit., p. 7.
6CHAVRIER, Géraldine, « Les collectivités territoriales, le pavoisement des édifices publics et le drapeau en berne », AJDA, 2022, p. 2334, sur lequel la présente analyse prend fortement appui.
7Articles 1er, 9 et 18 du décret, cités pages 2, 4 et 5 du Protocole.
8Auquel cas il revient au président du Sénat, qui exerce l’intérim de la présidence de la République en vertu du quatrième alinéa de la Constitution du 4 octobre 1958, de prendre le décret déclarant le deuil national.
9CHAVRIER, Géraldine, op.cit.
10Idem.
11Par exemple, article 2 du décret du 19 décembre 2024 portant déclaration de deuil national en hommage aux victimes du cyclone Chido qui a dévasté le département de Mayotte le 14 décembre 2024.
12Circulaire NOR : PRMX2033943C du 3 décembre 2020 relative à la journée de deuil national à la suite du décès de M. Valéry GISCARD D’ESTAING, ancien Président de la République. Voir, pour une disposition à la formulation voisine, la circulaire NOR : PRMX2434254C du 19 décembre 2024 relative à l’hommage national aux victimes du cyclone Chido qui a ravagé le département de Mayotte le 14 décembre 2024.
13CHAVRIER, Géraldine, op. cit.
14Protocole à l’usage des maires, op. cit., page 6.
15Réponse ministérielle (Intérieur) du 1er février 2005 à la question écrite n° 50143 de Monsieur le député Gabriel BIANCHERI.
16Le Premier ministre Dominique de VILLEPIN s’expliquant sur la demande de mise en berne des drapeaux en hommage au pape Jean-Paul II, cité par CHAVRIER, Géraldine, op. cit.
17Pie XII (1958), Jean XXIII (1963), Jean-Paul Ier (1978), Jean-Paul II (2005), François (2025).
18CHAVRIER, Géraldine, op. cit.
19Conclusions Francis DONNAT sur CE, 27 juillet 2005, Commune de Sainte-Anne, n° 259806, au Rec., p. 347, en A.
20CE, 10 août 1917, Sieur Baldy, n° 59855, concl. Corneille, au Rec., p. 636.
21CE, 18 février 1918, Demoiselle Le Tourneur, n° 59885, concl. Corneille, au Rec., p. 106.
22CE, 5 novembre 1952, Sieur Le Moign, n° 18203 et 18619, concl. Agid, au Rec., p. 486.
23CE, 1er février 1967, Sieur C., n° 65484, concl. Fournier, au Rec., p. 52, en A.
24ROUSSEL, Sophie et NICOLAS, Charline, « De l’injusticiabilité des actes de gouvernement », AJDA, 2018, p. 491.
25CHAVRIER, Géraldine, op. cit.